Histoire de l’école primaire en France, jusqu’au début
de la Vème République
D’après Histoire de l’école primaire en France de Jean Combes ; éditions de Borée, 2013.
L’école primaire française a connu une longue évolution au cours des siècles.
Avant la conquête de la Gaule par les Romains, druides et bardes étaient les maîtres du savoir. Les druides, à la fois prêtres, magistrats et éducateurs assuraient l’instruction de la jeunesse gauloise, dans les milieux les plus aisés. Il faut attendre la Gaule romaine pour que soient créées les premières écoles primaires ou est dispensé un véritable enseignement destiné aux enfants de 7 à 12 ans.
1. L’école primaire au Moyen-Age (Vème –XVème siècle)
Au début du Moyen-Age (VIème –VIIème siècles), les écoles ecclésiastiques l’emportent sur les écoles gallo-romaines dans toute la Gaule. L’on trouve alors trois types d’écoles chrétiennes : les écoles monastiques entièrement contrôlées par les moines, les écoles épiscopales ou cathédrales situées au sud de la Loire et dirigées par les évêques, et les écoles presbytérales ou paroissiales dirigées par des prêtres, avec un programme semblable à celui des écoles épiscopales.
Mais les invasions barbares nuisent au fonctionnement de ces écoles qui disparaissent et, à l’époque de Charles Martel et de Pépin le Bref, il n’y a plus guère que les moines pour avoir un peu d’instruction.
Charlemagne, roi des Francs et empereur d’Occident (768-814) a l’ambition d’assurer un niveau culturel minimum dans les 400 comtés, 1254 abbayes et 312 cathédrales de son empire… Dans son Capitulaire de 789 (Admonitio generalis), il consacre un chapitre entier à l’école, avec un véritable programme d’alphabétisation. Son bilan restera néanmoins beaucoup plus modeste que ce que laisse croire la légende perpétuée par les manuels d’histoire de la IIIème République…
Un siècle plus tard les écoles épiscopales, presbytérales et monastiques se développent au nord de la France occidentale. Les ateliers de copistes adoptent une nouvelle écriture, la minuscule caroline, qui simplifie l'écriture, la lecture et donc l’apprentissage. L’enseignement se fait alors en latin, langue que le monde paysan et le petit peuple des villes ignorent. La France est divisée en deux grandes zones linguistiques : au nord de la Loire, les pays de langue d’oïl ; au sud ceux de langue d’oc –ainsi nommées d’après le terme que chacune utilise pour dire « oui ». Mais il y a autant de dialectes, de spécificités phonétiques, lexicales ou syntaxiques qu’il y a de régions !
Du XIème au XIIIème siècle l’on assiste à un développement sans précédent des écoles qui se multiplient au voisinage des cités épiscopales, tandis que, dans le même temps, l’enfant acquiert un nouveau statut. L’on prend soin de l’enfant dès sa naissance, sa vie sociale commence avec le baptême. Certains fils de nobles vont à l’école, d’autres reçoivent l’instruction dispensée par un précepteur.
Au XIIIème siècle l’apparition du papier constitue une véritable révolution pour la circulation des connaissances (moulins à papier dans la région d’Ambert, en Auvergne).
Les petites écoles et les collèges se généralisent aux XIVème et XVème siècles. Les enfants âgés de 6 à 8 ans suivent les enseignements des écoles dirigées par les curés des villages ou les clercs des villes. Au nord de la Loire l’enseignement commence à être dispensé en français, les écoles des cathédrales et des collégiales restant également très actives.
2. L’école primaire pendant l’ancien régime (XVIème – XVIIIème siècle)
L’école est devenue une réalité sociale.
Pendant l’Ancien Régime, l’enseignement primaire est toujours confié à l’église, tandis que les protestants encouragent la création d’écoles primaires pour assurer la diffusion de leur doctrine. Dès 1524, Luther adresse un appel pressant depuis l’Allemagne : « Il faut en tous lieux des écoles pour nos filles et nos garçons ».
La Contre-Réforme, qui lutte contre le Protestantisme, met en place un réseau d’écoles urbaines. Jean-Baptiste de La Salle et les Frères des Écoles Chrétiennes contribuent au développement de l’enseignement élémentaire. Louis XIV, pour lutter contre la Réforme protestante, rend obligatoire l’appartenance de l’école primaire à l’église catholique (déclaration royale du 13 décembre 1698).
A cette époque, la mission essentielle de l’école primaire, pour les catholiques comme pour les protestants, reste l’instruction religieuse. Les parents qui souhaitent des études approfondies pour que leurs enfants accèdent à de hautes fonctions font plutôt appel à un précepteur.
Au XVIIème siècle, la question de la nécessité d’instruire le peuple commence à faire débat. Si Montesquieu, Diderot et Turgot, entre autres, se révèlent d’ardents défenseurs de l’instruction du peuple, d’autres s’y opposent formellement :
- « N’instruisez pas l’enfant du villageois, car il ne lui convient pas d’être instruit. » Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, 1761.
- « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants… Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois » Voltaire, 1766.
En dépit des oppositions, les écoles se développent, tout particulièrement dans la seconde moitié du XVIIème siècle, puis au XVIIIème siècle. L’alphabétisation dans le nord de la France semble progresser plus vite que dans le sud (ligne allant de St Malo à Nancy, d’après l’étude de L. Maggiolo, recteur de l’académie de Nancy).
3. De la révolution de 1789 à la fin du second empire (1789-1870)
Au moment de la Révolution les principes de l’obligation et de la gratuité scolaires sont évoqués dans les cahiers de doléances, mais l’on n’y voit pas de volonté de généraliser l’instruction publique.
Les plans ambitieux et novateurs de Talleyrand (1791), Condorcet (1792), Saint-Fargeau (1793) et Lakanal (1794) sont soit rejetés, soit très partiellement appliqués. L’œuvre révolutionnaire dans le domaine de l’enseignement primaire reste peu importante du fait de l’insuffisance des moyens financiers et humains qui y sont consacrés. Une enquête diligentée par le ministre de l’Intérieur Chaptal en 1801 conduit ce dernier à souligner la médiocrité de l’instruction publique primaire. Par exemple, dans le Pas de Calais, « la jeunesse est livrée à l’ignorance la plus profonde… la plupart des instituteurs primaires sont ineptes et incapables».
Le Directoire (1795-1799), le Consulat (1799-1804), et l’Empire napoléonien (1804-1815) n’accordent toujours pas de priorité à l’enseignement primaire. La loi du 1er mai 1802 prévoit quatre types d’établissements scolaires, les écoles primaires, les écoles secondaires, les lycées et les écoles spéciales. L’empereur veille à contrôler étroitement tous ces établissements. L’Université impériale est créée en mars 1808, son grand maître étant le seul habilité à délivrer un diplôme pour enseigner. Toute ouverture d’école doit être déclarée et enregistrée dans la mairie de la commune, avec des poursuites contre les institutrices et les instituteurs qui enseignent sans autorisation. La France est divisée en académies dirigées par un recteur, assisté d’un inspecteur d’académie.
Une première école normale pour la formation des enseignants est créée à Paris en 1795, une seconde à Strasbourg en 1811.
Les moyens consacrés à l’enseignement continuent d’être insuffisants après la chute de l’Empire napoléonien. Alors, dès le début de la Restauration (1814-1830), on se tourne vers l’enseignement « mutuel », au sein d’écoles dites « mutuelles », avec des méthodes précisément décrites –le théoricien français de ce courant est Nyon, qui publie un manuel très complet en 1816 (programme de construction de la salle de classe, programme d’enseignement, emploi du temps type, répartition des élèves dans les classes, qualité et rôle des moniteurs). L’organisation est quasi militaire, le travail intense, la discipline sévère. En 1820 il y a plus de 1500 écoles mutuelles en France, surtout dans les villes. Ces écoles sont soutenues par les libéraux, opposés aux écoles chrétiennes dirigées par les Frères. Les écoles mutuelles remportent un grand succès en Charente-Inférieure, elles sont soutenues par des notables tels que le commandant de la marine de Rochefort, le maire de la ville de Saintes –qui propose la gratuité pour les enfants les plus modestes, le sous-préfet de Marennes, et des protestants comme Fleuriau de Bellevue à La Rochelle –l’école rochelaise ainsi créée accueille indifféremment protestants et catholiques.
Mais le clergé continue de lutter contre les écoles mutuelles, qu’il accuse d’être « sans-Dieu », et finira par obtenir la fermeture de la plupart d’entre elles.
Dans les campagnes la situation scolaire reste proche de celle de L’Ancien Régime. En 1829, 14 000 communes sont toujours dépourvues d’écoles. Lorsque le village est doté d’une école il s’agit d’une classe unique, dans des locaux modestes et inconfortables, sous la surveillance du maire et du curé. Les instituteurs sont généralement très mal formés, et très mal rémunérés.
La monarchie de Juillet (1830-1848) contribue à une réelle évolution de l’enseignement primaire en France, notamment grâce à la loi Guizot de 1833. Désormais les communes de plus de 500 habitants doivent être équipées d’une école primaire, chaque département doit avoir une École Normale de garçons (ou s’associer à un autre département pour assurer le fonctionnement d’un tel établissement). En 1848, 74 départements disposent d’une École Normale ; la Charente-Inférieure s’en remet au département voisin de la Vienne pour former quelques instituteurs, elle n’ouvrira sa propre École Normale pour les garçons, à Lagord, qu’en 1863.
Un corps d’inspecteurs est créé en 1834, ce n’est plus le clergé qui contrôle les instituteurs. Les maîtres sont nommés par le ministre de l’Instruction publique, l’instituteur devenant ainsi un fonctionnaire de l’État. A cette époque deux sortes d’instituteurs coexistent, les instituteurs communaux ou instituteurs publics, et les instituteurs privés ; seuls les instituteurs publics bénéficient d’un logement et d’un salaire communal, toujours très modeste.
La loi Falloux de 1850 proclame la liberté de l’enseignement et accentue les prérogatives de l’Église.
En 1867 la loi Duruy développe la gratuité de l’enseignement primaire, encourage la scolarisation des filles et limite le rôle des congrégations.
4. La IIIème République (4 septembre 1870 – 10 juillet 1940). L’école laïque, gratuite et obligatoire – les lois Jules Ferry.
Proclamée le 4 septembre 1870, mais instituée en 1875, la IIIème République n’est dirigée par les Républicains qu’à partir de 1879, lorsque Jules Grévy succède à Mac Mahon; le système éducatif devient alors l’objet d’une attention toute particulière, sous l’influence de Jules Ferry.
Jules Ferry est successivement ministre de l’Instruction publique, et président du Conseil ; pendant près de 6 ans, de 1879 à 1885, il œuvre à l’évolution et à la structuration de l’école primaire en France.
De nombreux textes légifèrent et structurent le système éducatif français au cours des soixante années qui suivent, au cours de la IIIème République :
· La loi Paul Bert (9 août 1879) qui fait obligation aux départements de créer une École normale de filles dans un délai de 3 ans. En dix ans, 62 écoles normales de filles sont ouvertes (celle de La Rochelle le sera en 1883).
· Les lois Jules Ferry qui instituent la gratuité de l’enseignement (16 juin 1881), la laïcité et l’obligation de l’instruction élémentaire (28 mars 1882) –cette loi ne donne pas obligation de fréquenter l’école publique, mais celle de recevoir une instruction dans une école de son choix (publique, privée, confessionnelle), ou au sein de la famille (dans ce cas, l’enseignement dispensé doit être évalué).
5. Le gouvernement de Vichy : 1940-1944
La défaite militaire de la France mène à la disparition rapide de la IIIème République. Président du Conseil depuis juin 1940, le maréchal Pétain devient chef de l’Etat et s’installe à Vichy après la signature de l’armistice. Quelques mois plus tard il prononce la déchéance des parlementaires.
Les hommes de Vichy profitent de la défaite française pour supprimer le régime républicain :
6. De la IVème République au début de la Vème République
Au lendemain de la 2nde guerre mondiale l’installation de la IVème République s’avère longue et difficile. Après le gouvernement provisoire du général De Gaulle, il faut attendre l’élection de Vincent Auriol en janvier 1947 pour que la République soit installée.
Néanmoins, au sein de l’Education nationale, l’objectif est de reprendre la situation d’enseignement qui prévalait avant la guerre, avec une ambition nouvelle de poursuite des études au-delà l’école primaire.
Les décisions prises par le gouvernement de Vichy sont annulées.
En 1962, les écoles deviennent mixtes, du fait de la démographie et de la massification scolaire.
La pédagogie mise en œuvre dans les écoles commence à se transformer, à la recherche de méthodes plus « actives » (groupe français d’éducation nouvelle ; Mouvement Freinet ; centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active).
La loi Debré de 1959 donne la possibilité aux établissements privés de demander des aides à l’état (prise en charge du traitement des enseignants, participation aux charges de fonctionnement) ; ceci en contrepartie d’un « contrat d’association » qui met ces établissements sous le contrôle du ministère de l’Education nationale.
Par la suite, et jusqu’à aujourd’hui, l’école a dû relever et doit toujours relever de nombreux défis pour rester fidèle à sa mission : assurer avec efficacité les apprentissages fondamentaux, prendre en compte les différences, adapter son enseignement à un monde en constante mutation, préserver ses valeurs…
Pour demeurer, aujourd’hui comme hier, « L’institutrice de la nation ».